Rouge à lèvres assorti aux boucles d’oreilles, yeux pétillants, Delphine Romeas débarque dans les classes avec sa valise à roulettes. À l’intérieur : des livres jeunesse, une mâchoire géante, une dent aussi grande que celle d’un hippopotame — pour ne citer que quelques-uns de ses « outils » favoris. Son propos : la santé des quenottes, les dents de nos petits.
J’aime les choses très ludiques
, enchaîne l’assistante bucco-dentaire confirmée, en brandissant deux petites pancartes où figurent une dent contente
, une dent pas contente
. Les enfants lèvent l’une ou l’autre lorsque je leur montre, sur une affiche, un soda, des légumes, des chips, etc. Je fais passer des messages par la lecture et en jouant avec eux
, explique celle dont les séances dépassent le volet hygiéniste.
Dans les écoles, chacune des séances démarre par ce jeu de questions-réponses : Savez-vous à quoi servent les dents ?
À manger, à parler… et à sourire !
. Des enjeux de taille pour croquer la vie quand on a 4, 6 ans, et plus…
Précurseur
Des assistantes bucco-dentaires comme elle, il y en a seulement trois en France. Un parti pris de la Ville de Grenoble dont le service dédié à la santé scolaire, dans lequel travaille Delphine Romeas depuis six ans, a 100 ans cette année !
Ce type de service municipal est aussi rare que précurseur dans l’Hexagone : seulement onze villes en disposent. Il joue un rôle pivot dans l’apprentissage des élèves, comme l’explique sa responsable Marie-Ange Sempolit : Sa mission est de veiller à ce que tous les enfants, quel que soit leur état de santé, soient scolarisés.
Point capital : ce service municipal ne s’ajoute pas à celui de l’Éducation nationale, qui lui délègue les missions obligatoires en matière de santé scolaire. Celles-ci sont complétées par d’autres moyens déployés par la Ville. Celle-ci renforce ses actions, notamment auprès des enfants dont les familles sont confrontées à des situations de précarité.
Encore plus proches
Son champ d’intervention est donc immense ! Dépistages (audition, vue, poids, taille, langage…) de tous les enfants de maternelles et CE2 dévolus aux infirmières, rendez-vous individualisés assurés par les médecins scolaires sur la demande des enseignant-es et des infirmières, coup de pouce, accompagnement renforcé et actions collectives pris en charge par les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales de la Ville : l’équipe y est pluridisciplinaire et pluri-professionnelle. Une véritable ruche de 36 personnes, couvrant la prévention, le médical, l’éducation à la santé, et possédant des « entités » dans différents secteurs, pour être encore plus proche des habitant-es et des enseignant-es.
Violences faites aux enfants
Le centre socio-médico-scolaire de l’Abbaye, implanté dans les locaux de la Maison des Habitant-es, fait partie de ce service municipal. On y rencontre ce jour-là, pendant la pause déjeuner, la quasi-totalité de l’équipe composée de six personnes. Parmi elles, Christine Reifs, secrétaire médico-sociale depuis 40 ans, a vu grossir les missions du service. Parmi les 2 006 dossiers d’enfants scolarisés qui à ce jour passent entre ses mains, beaucoup soulèvent les problématiques du langage et de l’accès aux soins. Elles constituent deux des trois axes forts sur lesquels s’investit la Ville de Grenoble, avec les violences faites aux enfants – une priorité depuis la rentrée scolaire 2024-2025.
Ce travail de fourmi, réalisé par les infirmières scolaires par le biais des dépistages, est précieux : Les enfants sont vus deux par deux, sans la présence des parents. Quand on décèle une problématique – de vue, d’audition, dentaire… – , on établit un courrier ou l’on téléphone aux familles directement pour préconiser une consultation chez un-e spécialiste. Et l’on suit l’enfant tant qu’il n’est pas rentré en soins
, expliquent Valérie Lopez et Myriam Vidal. Cela arrive bien plus souvent qu’on l’imagine.
Certaines familles n’ont pas de médecin traitant, pas de parcours de santé. Nous les aidons à accéder aux soins en les mettant en relation avec les travailleuses sociales qui elles-mêmes, se mettent en lien avec une assistante sociale, une association ou accompagnent physiquement les familles dans un centre de santé
, souligne le Dr Agnès Héricher. La médecin scolaire est également sollicitée lorsqu’un enfant dépose une parole qui laisse à penser qu’il a reçu une violence physique ou morale.
Apprendre à se respecter
Ces « IP » (informations préoccupantes) se détectent parfois au détour d’un dépistage ou d’une action collective. Cécile Peillon, travailleuse sociale, explique que la thématique « Mon corps, c’est personnel » a été mise en place cette année afin d’expliquer l’intimité aux élèves de CE2 :
« On leur apprend à nommer les différentes parties de leur corps, on leur donne des gestes d’autoprotection, et chaque fin de séance offre un temps d’écoute, sur la base du volontariat. »
L’enjeu : apprendre aux plus jeunes à se respecter et à respecter les autres. Les premiers pas vers la citoyenneté…
Le service municipal de santé scolaire de la Ville de Grenoble compte :
- 5 médecins
- 8 infirmiers et infirmières
- 5 secrétaires médico-sociales
- 7 travailleuses sociales et travailleurs sociaux
- 1 assistante dentaire qualifiée
- 1 ETAPS (pour les enfants déficients visuels)
- 2 postes d’orthophonistes
- 1 coordinatrice des actions de langage
- 3 animateurs et animatrices d’ateliers
- 2 secrétaires
- 3 cadres
- 1 pôle médical
- 1 pôle Prévention et Éducation pour la santé. Cinq équipes pluridisciplinaires sont physiquement implantées dans les Maisons des Habitant-es (MdH) pour plus de proximité avec les familles.
La santé scolaire municipale en chiffres*
- 3 508 enfants de petite et grande section de maternelle et de CE2 ont été vus par les infirmiers et les infirmières du service Santé scolaire municipal dans le cadre des dépistages
- 616 petits Grenoblois et petites Grenobloises ont rencontré les médecins scolaires
- 674 élèves ont bénéficié d’un dépistage bucco-dentaire avec l’assistante dentaire qualifiée et un chirurgien-dentiste soit 570 enfants de CP (17 % d’entre eux avaient plus de 4 caries) et 104 enfants de toute petite section de maternelle
- 672 entretiens avec les familles ont été réalisés par les travailleurs sociaux
- 224 interventions dans les écoles auprès des enfants et 34 auprès des parents sous la forme de cafés-parents.
(*sur l’année scolaire 2023-2024)
Émilie Charpin, directrice de l’école Simone-Lagrange (quartier Presqu’île) :
J’ai été enseignante et directrice par intérim à Villard-de-Lans, et c’est en arrivant à Grenoble que j’ai découvert que la Ville disposait d’un service de santé scolaire en propre. Ce n’est pas redondant du tout avec la santé scolaire de l’Éducation nationale ! Il faut juste s’habituer au départ, défaire ses mécanismes – avec les référents habituels -, prendre le pli. L’avantage, quand on regarde l’organigramme, c’est le nombre de personnels professionnels qualifiés – médecins, infirmières, travailleurs sociaux et travailleuses sociales… C’est une vraie richesse. J’ai eu l’impression, depuis deux mois, d’une grande proximité et d’une très bonne réactivité. Cette fluidité est précieuse : on se sent épaulé-es, soutenu-es.
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