Photo portait de Vehansuh
© Alperen Gurcan

Rencontre avec l'artiste arménienne Vehanush Topchyan

Vehanush Topchyan est une artiste plasticienne arménienne. Elle explore avec délicatesse notre rapport à l'espace et au temps grâce à différentes images capturées.

La vie de la MIG

Publié le 14 déc. 2024

Bonjour Vehanush, peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Vehanush, je suis d'origine arménienne et je suis artiste plasticienne. Cela fait dix ans que je vis en France. Je suis arrivée ici pour mes études, aux Beaux-Arts de Toulon, puis j'ai déménagé à Grenoble. Cela fait maintenant trois ans que je vis ici.

Pourquoi es-tu venu faire tes études en France ?

Quand j'étais étudiante en Arménie, je voulais étudier l'art contemporain. Mais l'éducation y était encore assez "classique", et on ne pouvait pas vraiment y étudier l'art contemporain aux Beaux-Arts. C'était une éducation plutôt post-soviétique. Si tu voulais explorer l'art contemporain, tu devais surtout acquérir des connaissances par toi-même, en discutant avec des amis. Ce n'était pas une éducation très encadrée.

Comment ça s'est passé pour toi de déménager en France ?

Le déménagement a été un peu difficile, oui. Mais une fois que tu es dans le flow, tu ne sens plus vraiment les efforts, tu suis simplement le mouvement. Parfois, je me demande comment j’ai fait tout ça. Ce n’était pas facile, mais c’était un chemin important. Aujourd'hui, je me sens très bien ici, en France. J'ai pu accéder à l'éducation artistique que je souhaitais, et maintenant, je peux travailler en tant qu'artiste.
Peux-tu nous décrire ton travail de artiste plasticienne ?

Mon travail consiste principalement à faire de la production, des résidences et des expositions. Dans mon atelier, je crée de la matière, de l'art. Je travaille surtout avec l'image, en réalisant des installations photos et vidéos. Il y a des questionnements qui m'intéressent profondément, et ces questionnements passent à travers l'image. Par exemple, je cherche à aborder les rapports entre le présent et le passé, entre mémoire et souvenirs. Tout passe par l'image, et je m'intéresse beaucoup à sa matérialité.

Je travaille principalement avec la photographie argentique. J'ai commencé avec le numérique, mais il y avait quelque chose qui me manquait. Ça restait trop virtuel. Aujourd'hui, avec le flux incessant d'images numériques, on finit par ne plus vraiment les voir, on est un peu perdus. Avec l'argentique, il y a un processus, la pellicule, le développement. Il y a plusieurs étapes qui transforment l'image et lui donnent une autre réalité. Par exemple, je travaille avec la poussière qui se dépose sur l'image ou avec des taches que je laisse volontairement. C’est une manière de donner de la matérialité à l’image.

Je travaille aussi avec des structures, pour donner une autre dimension à l’image. Les photos sont posées sur ces structures, et elles prennent alors une forme différente, elles ne sont plus simplement plates. Elles se transforment et acquièrent une dimension physique, un volume.

J'ai photographié un jour 36 fois le même morceau de mur, et en scannant les photos, je me suis rendu compte que ce qui changeait à chaque prise de vue, c'était la poussière sur l'image. Cela parle aussi de la répétition : on peut répéter un même geste, mais il sera toujours différent à chaque fois. Ce questionnement sur la répétition revient souvent dans mon travail : à chaque répétition, quelque chose change.

Peux-tu nous parler un peu plus de ton exposition ?

Cette exposition fait partie de la série des "Déambulations", que j'ai commencée il y a six ans. Aujourd'hui, c'est la troisième, donc c'est "Déambulation 3.0". L'idée, c'est que je sors avec mon appareil photo et que je refais le même trajet que celui que je fais au quotidien. Je me suis dit qu'en utilisant l'appareil, je serais plus attentive aux détails, parce que quand on emprunte le même chemin tous les jours, on passe à côté de beaucoup de choses. En prenant mon appareil, je remarque des choses que je n'avais jamais vues avant. Ce sont des moments de veille, une prise de conscience de l'espace qui m'entoure.

Je voulais aussi montrer que ce n'est pas forcément en partant loin qu'on peut voir des choses nouvelles. Après trois ans passés à Grenoble, j'avais l'impression que la ville était devenue trop familière. Je voulais raviver cette connexion avec elle, en explorer la dimension plus intime. Ce n’est pas l’espace en soi qui nous empêche de voir, c’est plutôt notre esprit qui s’habitue et qui ne perçoit plus les petites merveilles autour de nous.

Pendant ces promenades photographiques, c'était comme si j'étais en quête de quelque chose. J'étais hyper éveillée, à la recherche de quelque chose, et des éléments se révélaient à moi. Parfois, il y a des petits moments où tout se connecte. Par exemple, il y a eu une discussion, et puis je vois quelque chose qui me fait penser à cette discussion, et tout s'aligne. C'est comme si l'appareil photo facilitait cette connexion.

Les photos que je présente ici ont été prises à Grenoble, sur ce trajet quotidien que j'effectue.

Photo de l'exposition de Vehanush Topchyan
Photo de l'exposition de Vehanush Topchyan :
© Alperen Gurcan

Est-ce que l'Arménie est présente dans tes oeuvres ?

Je suis très liée à l'Arménie, j'y retourne tous les étés, j'y ai ma famille, mes amis. Dans mon travail, je ne parle pas toujours de mes origines, ce n'est pas un sujet qui revient systématiquement, mais je ne peux pas ignorer que cet héritage fait partie de moi. Inconsciemment, il influence ma manière de voir et de créer. Tout ce que j'ai vu en Arménie, les paysages, les artistes arméniens, tout cela est connecté en moi. Tout ce qui se passe là-bas m'intéresse beaucoup, et l'art contemporain arménien est vraiment passionnant.

Est-ce que tu penses qu'un jour tu pourrais retourner en Arménie ?

Oui, aujourd'hui c'est différent. L'Arménie a beaucoup changé, notamment au niveau de la culture. En 2018, il y a eu la révolution, un changement de gouvernement, et aujourd'hui, de nouvelles personnes dirigent des institutions comme les Beaux-Arts. Cela a modifié les structures, qui étaient auparavant trop ancrées dans le système du gouvernement précédent. Avant, on vivait sous une "dictature démocratique", une fausse démocratie. L'Arménie ne se développait pas, il n'y avait pas de budget pour l'éducation, et il était impossible de créer des associations.

Je reviens souvent en Arménie, et maintenant, cela a du sens pour moi de revenir et de partager ce que j'ai appris, de transmettre ce que j'ai acquis en expérience. Je me sens plus légitime aujourd'hui pour le faire.

Comment connais-tu la MIG (Maison de l'International Grenoble) ?

L'année dernière, j'ai gagné le prix de l'art contemporain du Département de l'Isère, et c'est là que j'ai rencontré les personnes qui travaillent dans le secteur culturel du Département. Elles ont préparé la programmation du Mois de l'Arménie, et c’est ainsi qu’elles ont pensé à moi pour cette initiative.

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