Portrait de Eric Lenoir
© Sophie Varlet

Eric Lenoir : "Il faut considérer la ville comme un écosystème"

Éric Lenoir, jardinier et paysagiste, auteur Le Petit traité du jardin punk, Prix Saint-Fiacre 2019, répond aux questions de Gre.mag.

Environnement

Par Anna Figari, publié le 5 nov. 2024

Article

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la proposition d’intervenir auprès des jardiniers et des jardinières de Grenoble ?

Je vous répondrais plutôt dans l’autre sens : mais pourquoi se sont-ils intéressés à moi ? (Il rit) Ces rencontres permettent bien sûr d’avancer, de faire circuler des idées et des pratiques. Je n’ai pas de liens particuliers avec Grenoble si ce n’est que Terre Vivante, mon éditeur, est basé dans l’Isère.

Vos conférences auront lieu avec le paysagiste Gilles Clément. Vos approches du jardin sont-elles complémentaires ?

(Il sourit) J’ai fait en sorte, tout au long de mon parcours, de ne pas être trop en contact avec Gilles Clément, ne rien voir ni savoir sur son approche, ceci afin d’avoir le temps de construire la mienne. Lorsque nous nous sommes enfin rencontrés, je le lui avais dit. Sa réponse avait été la suivante : c’est ce que je demande à mes étudiants et étudiantes ! On converge sur le fait de laisser une plus forte place au vivant, d’aller vers des pratiques les moins invasives possibles et d’inciter à avoir une posture humble par rapport à la création du jardin et de l’endroit où l’on agit. Je défends clairement l’idée du jardin comme un écosystème plutôt que comme une création artistique ou esthétique.

Idéalement, à quoi ressembleraient les jardins en ville pour ramener plus de biodiversité ? Par quoi cela doit-il passer ?

Limiter leur entretien et les aménagements au strict nécessaire, définir la fonction des lieux avec un cahier des charges axé sur la détermination des urgences : est-ce l’érosion dramatique de la biodiversité ? est-ce nourrir, dans ce quartier ou tel autre, les générations futures ? est-ce avoir quelque chose de joli ?

Dans Brut, vous expliquiez qu’il existe un fossé entre ne rien faire et faire un petit peu. Qu’est-ce que faire un petit peu et pourquoi ?

C’est faire le nécessaire et, en le faisant, on amène du bonheur à l’endroit où l’on est : avoir un jardin écologique, c’est lever le pied, changer ses habitudes, c’est comme si vous mettiez un moteur à un bonhomme ou des petits bras : vous voyez tout de suite la différence !

Comment adapter la végétation urbaine à la crise climatique ?

Il y aura une végétation urbaine ! Mais bienheureux celui ou celle qui sait quelle tête elle aura. Savoir quoi planter, c’est improbable. Il faut changer d’approche. Celle d’avant consistait à avoir des plantes dans la ville pour durer, alors que maintenant, c’est pour survivre. Bogota plante des millions d’arbres pour baisser sa température de deux degrés ! Pour parvenir à cette adaptation, il faut considérer la ville comme un écosystème. L’autre nécessité absolue, c’est qu’on ne sait rien du monde qui vient. Ce qu’on peut faire, c’est considérer que ce qui pousse encore est l’élan des arbres. Des arbres qu’on arrache parce qu’ils sont malades, c’est oublier que leur vertu est de procurer de l’ombre, et qu’en cela, ils sont une partie des solutions pour survivre.

Qu’est-ce qu’on ne peut plus faire ou qui relèverait d’une hérésie ?

Faire des aménagements qu’il faut arroser et planter des grands arbres ! Je me souviens d’une ville, en France, où deux types de plantations avaient eu lieu, en même temps. D’un côté, des grands arbres. De l’autre, des très jeunes arbres. Quatre ans plus tard, les plus grands étaient à moitié crevés tandis que les jeunes allaient très bien ! Planter de grands arbres, ce n’est pas de l’écologie, c’est de l’égologie. C’est une question d’image, pour montrer que l’on a planté.

Intervenez-vous auprès des jeunes générations de jardiniers et jardinières ? Comment les éveiller à une approche plus naturaliste ?

En semant auprès de ces jeunes un peu d’insoumission et du libre arbitre, en remettant en question des pratiques et en leur proposant de s’interroger : pourquoi dois-je faire ce que l’on me demande de faire ? C’est leur apprendre à être des jardiniers, pas des pousseurs de tondeuses – et à s’amuser, autant que faire se peut.

Pouvons-nous également contribuer dans notre jardin, sur notre terrasse, sur notre balcon ? Quels sont les bons gestes ?

Crever les pneus de la tondeuse ou s’en servir uniquement dans les allées ! Utiliser la serpe, la faux, l’approche à la main : en faisant seulement ce qui est nécessaire, on laisse de la place au vivant pour s’exprimer.