Pouvez-vous nous rappeler votre démarche pour la restauration de la tour Perret
Nous ne sommes pas dans une démarche de constructeur qui fait une proposition architecturale pour répondre à un programme. Ici, c’est le monument qui dicte le programme. De plus, contrairement aux constructions traditionnelles en pierre ou en terre, pour lesquelles les techniques n’ont pas changé depuis 3 000 ans, la restauration du béton armé est infiniment plus complexe. Les méthodes de conservation évoluent et changent tous les cinq à dix ans ! Il faut adopter une démarche pragmatique, avec des interventions réversibles qui pourraient être reconsidérées en cas d’évolution des connaissances. La restauration n’est pas une science exacte : c’est une démarche culturelle qui est datée et incarnée. Il faut toutefois rester humble...
C’est pour cette raison que vous avez prévu une tranche d’essai ?
La tranche d’essai était indispensable pour valider notre projet. De la même manière que Perret est allé au bout des capacités offertes par le béton armé, qu’il voulait magnifier comme étant la solution ultime, nous sommes allés au bout de ce que l’on peut faire aujourd’hui pour reconduire ce chef-d’œuvre dans ses dimensions, ses proportions et son aspect. On ne voulait pas perdre l’aspect très grêle de la structure et des huit piliers principaux, qui étaient les parties les plus dégradées. Plutôt que d’épaissir ces piliers pour protéger leur armature métallique de la corrosion, on a déplacé les aciers. Nous avons pu conserver les dimensions exactes, et donc le côté impressionnant d’un monument qui défie le temps et l’espace.
C’est aussi un défi pour les entreprises ?
Oui, elles ont vraiment joué le jeu. Lors de la sélection, il a fallu être très explicite pour qu’elles comprennent notre philosophie. Ensuite, comme sur tous mes chantiers, j’apprécie de passer du temps avec les compagnons. Il est important qu’ils s’approprient le sens et les raisons de ce qu’ils font. Ils sont fiers de travailler sur ce projet. Mais toutes les entreprises n’ont pas cette compétence dans la conservation du béton. Vis-à-vis du volume de travaux qu’il faudra faire sur ces problèmes dans les décennies à venir, il y en a très peu.
Quel bilan faites-vous après un an de chantier ?
L’urgence était de reconstruire les piliers principaux et les fondations, ce qui est fait. Maintenant, nous pouvons travailler sur le sensible, la couleur, la lumière, etc. Pour des raisons de sécurité, le rez-de-chaussée avait été fermé par des palissades, alors qu’il y avait à l’origine des portes vitrées. De même, en partie haute, des claustras ont été bouchées pour éviter à l’eau et aux oiseaux d’entrer. Nous allons réintroduire la lumière, toujours dans le même esprit de conservation, afin de ne pas perdre l’identité du monument.
D’où viennent les techniques de restauration des piliers ?
Nous les avons importées du secteur des travaux publics. C’est le cas de la PCCI, qui met en œuvre de l’électricité pour éviter la corrosion de l’armature métallique. Pour reconstruire les piliers, nous avons eu recours à une méthode utilisée pour la consolidation des falaises : le béton projeté. En effet, il n’était pas possible de coffrer et de couler un nouveau béton, faute de place, car on devait intervenir uniquement sur les premiers centimètres. Nous avons donc adapté une méthode un peu « grossière » au raffinement exigé par le bâtiment, afin d’obtenir un épiderme comparable au béton coffré d’origine. En faisant preuve d’agilité mentale et technique, il est possible de détourner des dispositifs de leurs destinées initiales et de les adapter avec efficacité à nos objectifs. La tranche d’essai a permis de valider ces solutions.
Ce chantier a-t-il apporté de nouvelles connaissances sur la tour ?
Oui, tout à fait. Nous disposons des plans d’origine et nous nous sommes rendu compte qu’ils sont rigoureusement conformes au bâtiment, au centimètre près. Considérant que le chantier initial a été réalisé en à peine onze mois, c’est extraordinaire ! On compte sur les doigts d’une main les différences entre les plans et le bâtiment, c’est très rare. C’est émouvant d’appréhender ainsi la fulgurance que pouvaient avoir les frères Perret, depuis la vision du monument jusqu’à sa conception et sa réalisation.
Cela vient-il du fait qu’ils étaient à la fois concepteurs et constructeurs ?
Ils ont fait preuve d’une vraie dualité de créativité et de rigueur constructive. Ils maîtrisaient jusqu’au sens des planches de coffrage et la position des clous ! Sur les plans, certaines planches sont verticales, alors que d’autres sont horizontales, sans que cela ne soit expliqué nulle part. Nous avons compris que pour renforcer cette impression de monolithisme et d’élancement de la tour, les faces visibles des piliers étaient coffrées avec de longues planches verticales. Leur face arrière, qui se voyait moins, était au contraire coffrée avec de petites planches horizontales qui permettaient de remplir et de tasser le béton au fur et à mesure.
Que retirez-vous personnellement de ce projet ?
C’est une véritable expérience humaine et un défi collectif parce qu’on se trouve face à une sorte d’ovni technique et architectural. Je m’intéresse à la conservation du béton depuis vingt ans, c’est un sujet qui me passionne, même s’il est parfois un peu terrifiant… En 1925, on n’avait pas saisi que le béton était si fragile. Il ne se dégrade pas aux mêmes endroits, ni pour les mêmes raisons, que les structures et les matériaux de l’architecture traditionnelle. Personnellement, j’apprends des choses tous les jours. C’est un challenge qui ne nous laisse pas le temps de tomber dans la routine, où chaque question doit trouver une réponse spécifique.
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