Des personnes discutent.
© Jean-Sébastien Faure

Et si l’alimentation saine devenait un droit ?

Il existe, en France, un paradoxe. Considérée comme un facteur déterminant de bonne santé, l’alimentation n’est pourtant pas reconnue comme un droit. À Grenoble, le projet de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) s’accélère afin de garantir le droit d’accès à une alimentation de qualité issue de l’agriculture durable, pour toutes et tous, au cœur de la ville. Premier tour d’horizon.

Santé

Par Anna Figari, publié le 6 mai 2024

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Ils et elles s’appellent Claire, Dorian, Naïma, Mathis et Serge*, ont entre 23 ans et 72 ans, certain-es sont des citoyen-nes militant-es, d’autres des allocataires du RSA ou sont hébergé-es dans des pensions de famille. Toutes et tous font partie d’un petit collectif de 12 à 18 personnes qui, depuis un an, se réunit, rue Ampère, dans les locaux d’Aequitaz.

Son propos ? «Prendre notre place à table» — chacun-e mettant cartes sur table, comme ce mardi-là. Les leurs, de cartes, déroulent des parcours de vie, accidentés ou engagés, et racontent comment dans ce dédale, l’alimentation est devenue, si ce n’est une question, une injustice sociale.

«Nous avons lancé ce collectif pour comprendre et défendre le droit à l’alimentation, avec les personnes concernées. Nous dessinons nos parcours alimentaires, en notant où on en est, en identifiant les facteurs – l’argent forcément, mais pas seulement. Le groupe s’est également saisi d’une question : et si le droit à l’alimentation était aussi celui de bien manger ensemble ? Notre approche, c’est toujours de faire alliance», explique Jérôme Bar, co-fondateur de l’association grenobloise Aequitaz.

Vertueux

Faire alliance, Jérôme Bar sait de quoi il parle pour avoir participé, il y a deux ans, à la mise en place du système de Sécurité sociale alimentaire de Montpellier. Résultat ? 800 personnes bénéficient aujourd’hui d’une caisse de péréquation.

Grenoble s’active pour faire sortir de terre un projet collectif similaire. Depuis 2019, date à laquelle la Ville a intégré le PAiT (projet alimentaire interterritorial de la grande région grenobloise), le territoire prépare la création d’un dispositif vertueux, destiné à celles et ceux qui mangent, tout autant qu’aux producteurs et aux productrices qui savent que la terre, elle aussi, a grand besoin qu’on la fasse respirer. Copieusement. Généreusement.

Les gens ne mangent plus à leur faim, ceux qui produisent et nous nourrissent sont dans une pauvreté effarante. L’environnement est malmené. Puisqu’on est au bout de ce système, il faut en changer, explique Angèle Legrain, directrice des projets de stratégie alimentaire de la Ville de Grenoble.

Le changement est en train de s’opérer. En décidant, en février dernier, d’injecter 1,4 million d’euros dans le projet de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA), la Ville acte un engagement pris de longue date en matière de stratégie alimentaire, et agit comme un accélérateur du projet. Certaines actions soutiennent concrètement des démarches sociales et solidaires existantes, à l’instar de la société coopérative Au Local : participer à son capital renforce la SCIC dont l’activité**, depuis 2020, relève de l’intérêt public.

D’autres initiatives permettent de co-construire avec une trentaine de structures locales – Épisol, Secours populaire, la Confédération paysanne, Societal Angels… – toute l’ingénierie du dispositif et de sa caisse de cotisations.

Donner du sens

Ce que l’on sait, c’est que cette caisse fonctionnera sur la base d’une cotisation volontaire, selon les revenus. La somme allouée à chacune et à chacun sera quant à elle identique, quel que soit le montant initial de cotisation. Les achats s’effectueront dans des lieux «conventionnés» : ces commerces seront définis par les cotisants eux-mêmes.

L’intérêt : Permettre aux citoyens de savoir ce qu’il y a derrière tel prix et tel produit. La SSA donne du sens à la consommation, au produit alimentaire donc au producteur qui l’a élaboré, souligne Angèle Legrain.

Des groupes de travail ont d’ores et déjà été mis en place autour de trois thématiques : la mobilisation citoyenne afin de définir à qui profitera cette caisse, sa mécanique (avec quel support : CB, espèces, autres ?), et enfin la production et la distribution.

En octobre prochain, un temps fort co-organisé par la Ville de Grenoble et l’association Aequitaz permettra d’en apprécier les contours autour d’une assemblée citoyenne de l’alimentation. Il sera question de recueillir des vécus, présenter des initiatives locales, mais aussi de cuisiner et manger ensemble pour célébrer l’alimentation. Et essayer de lui redonner sa valeur fédératrice, et faire briller l’adage : nous devenons ce que nous mangeons.

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Pourquoi la Ville de Grenoble s’engage-t-elle dans ce projet ?

La SSA est une réponse systémique, à la fois pour sécuriser des débouchés aux producteurs et productrices engagé-es dans des démarches vertueuses, et donner accès aux consommateurs et consommatrices à des denrées rémunératrices, produites le plus localement possible. Les collectivités locales y ont toute leur place.

Combien investissez-vous ?

En année pleine, l’enveloppe totale est de 1,4 million d’euros C’est un montant inédit en France jusqu’à présent.

Le dispositif grenoblois a-t-il une spécificité ?

Je ne crois pas qu’il y ait de solution magique, mais il existe des réponses locales à des désordres globaux. Le dispositif grenoblois n’est pas calqué sur un modèle national : il se construit sur les spécificités d’un territoire, dans le respect du travail partenarial.

Quelle est la différence entre l’aide alimentaire et la SSA ?

Faire un chèque à une association, c’est de l’aide alimentaire, ce n’est pas de la SSA ! La SSA est une mise en sécurité de toute la chaîne alimentaire, c’est respecter les choix des consommateurs et consommatrices, protéger les agricutrices et agriculteurs et l’environnement, et assurer une distribution directement au cœur de la ville.

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