Le Théâtre de l'Occupation italienne

Après le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942, l’Allemagne nazie décide de l’occupation de la zone sud de l’Hexagone à l'exception des départements alpins contrôlés par l’Italie fasciste. Grenoble est ainsi occupée par l’armée italienne jusqu’au mois de septembre 1943.

Année 1940

L'Hôtel de Savoie, au 52, avenue Alsace-Lorraine, héberge dès 1940 les membres italiens de la Commission d'armistice. Ces personnes sont chargées de contrôler les industries de guerre, sous la direction de l'ancien vice-consul.
À partir d'avril 1941, des chambres seront occupées par des membres allemands de la Croix-Rouge et de la Commission d'armistice. Parmi eux, le comte Ceski, qui s'avère être un agent du SD (Service de sécurité de la SS).

Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère
L'Hôtel de Savoie, au 52, avenue Alsace-Lorraine à Grenoble.

À partir d'avril 1941, des chambres seront occupées par des membres allemands de la Croix-Rouge et de la Commission d'armistice. Parmi eux, le comte Ceski, qui s'avère être un agent du SD (Service de sécurité de la SS).

L'Hôtel Gambetta, au 52, boulevard Gambetta, est réquisitionné pour abriter l'état-major de la 5e division alpine italienne Pusteria.

Les premières pénuries commencent dès 1940 et entraînent la mise en circulation de cartes de rationnement. Les services communaux sont chargés de distribuer aux habitants les tickets pour acheter chez les commerçants des produits textiles, du tabac, des produits de consommation courante comme le savon et bien sûr les produits alimentaires. La station de ravitaillement pour l'huile et les essences est basée rue de Belgrade. On assiste à l'émergence d'un marché noir qui permet à certains de s'enrichir pendant que d'autres souffrent de la faim. En règle générale, l'agriculture se porte mal durant ces années (désorganisation du travail agricole, manque d'engrais et d'insecticides, tracteurs en panne d'essence). Aux difficultés croissantes du ravitaillement entre 1942 et 1944, s'ajoutent bientôt le stationnement et l'entretien des troupes d'occupation, italiennes puis allemandes.

Jeunesse et Montagne est mise en place le 2 août 1940 à la demande du général d'aviation Jean d'Harcourt, Secrétaire général à la Famille et à la Jeunesse, dans le but de regrouper les engagés volontaires de l'armée de l'air. Ici, les buts ne sont pas militaires mais éducatifs. Le PC de Jeunesse et Montagne est situé rue Cornélie-Gémond. Quelques conditions d'admission : «4° : être citoyen français, né de parents français », « 8° : ne pas appartenir à la race juive». C'est donc bien le cadre de la « Révolution nationale » qui est appliqué. Le but est de « compléter la formation physique, morale et civique d'une sélection de jeunes Français de 18 à 22 ans volontaires pour accomplir à la rude École de la Montagne un stage de 8 à 12 mois ». Si, à titre individuel, des anciens de Jeunesse et Montagne ont rejoint la Résistance et principalement les maquis, il ne fait aucun doute que l'institution elle-même n'a pas basculé dans la clandestinité. Le 31 janvier 1944, à la demande des Allemands et pour des raisons de stratégie militaire, l'institution est dissoute.

La Légion française des combattants, créée en août 1940, rassemble des soldats démobilisés et des anciens combattants de la Première Guerre mondiale. Elle a pour mission de propager et de défendre les valeurs fondatrices de la « Révolution nationale » du régime de Vichy. Ernest Demur est le fondateur et président de la section grenobloise, installée 8, place Grenette. En février 1941, on dénombre 650 000 légionnaires. Leurs actions entraînent rapidement des troubles dans certains départements : dénonciations de notables locaux, interdiction de manifestations... Devant les plaintes des préfets, la Légion est mise en sommeil et, en 1942, Joseph Darnand fonde en son sein des formations paramilitaires comme le Service d'ordre légionnaire (SOL).
Le centre de propagande pour la « Révolution nationale » est situé à l'angle de la place Victor-Hugo et de la rue Docteur Mazet. Fondée sur la devise « Travail, Famille, Patrie », cette « Révolution nationale » met l'accent sur le retour à une société traditionnelle, patriarcale et hiérarchisée où règne l'ordre moral. Elle prône la religion, le patriotisme, l'importance de la famille et le travail de chacun. Ainsi, le divorce devient plus difficile à obtenir, l'avortement est sévèrement réprimé et les parents de familles nombreuses reçoivent des décorations nationales. Dès juillet 1940 sont institués les Chantiers de jeunesse. Le monde du travail est réorganisé en fonction d'un système corporatiste fondé sur une nouvelle Charte du travail (loi du 4 octobre 1941).

En 1940, trois journaux font l'opinion à Grenoble : La République du Sud-Est, La Dépêche Dauphinoise et Le Petit Dauphinois. Ce dernier, basé avenue Alsace-Lorraine, est le plus influent. Dirigé par Marcel Besson, il écrase ses confrères, avec 190 000 exemplaires en 1939, alors que ses concurrents plafonnent à 20 000. Selon l'avis du gouvernement, le journal fait une large place à la vie locale et aux sports, ce qui assure son succès et lui permet d'être le principal journal d'information de la région. Lorsque le régime de Vichy est institué, Le Petit Dauphinois ne tarde pas à choisir son camp : « Nous rendons hommage au vainqueur magnanime de Verdun vers lequel montent notre admiration, notre reconnaissance, notre amour, lui qui a accepté de faire siennes toutes nos humiliations et d'ouvrir tout saignant son cœur aux indicibles souffrances dont est accablée notre pauvre patrie. » Le Petit Dauphinois est alors un véritable outil de propagande au service de la « Révolution nationale ». Jean Fangeat, le rédacteur en chef, écrit lors de la venue du Maréchal à Grenoble en mars 1941 : « Le Maréchal est là. Il va prendre possession de notre ville et de nos cœurs. » Et cette visite « entrera dans les fastes de notre histoire urbaine. Elle fera date, elle fera image ».

Le Polygone d'artillerie, qui deviendra plus tard le Polygone scientifique, tout au nord de Grenoble, stocke l'armement récupéré après les combats de juin 1940. Le 16 juillet 1940, la Commission italienne de contrôle de l'armement et des industries de guerre, instituée par l'armistice, tente de recenser ces armes.
Plusieurs officiers italiens s'affairent à évaluer ce qui peut leur servir : ainsi, 71 rames de wagons partent pour l'Italie en septembre et octobre 1940, chargés de 12 000 tonnes de matériels sur les 40 000 recensées. Dès le début, le chef d'escadron Delaye, commandant en second du parc d'artillerie, fait tout son possible pour truquer les chiffres, équiper correctement l'Armée d'armistice, saboter les équipements que les Italiens envoient de l'autre côté des Alpes et distribuer 5 000 tonnes de métaux aux usines locales.

La loi du 13 août 1940 prescrit la dissolution des loges maçonniques, la mise sous séquestre et la vente de leurs biens. En outre, elle oblige les fonctionnaires et agents publics à rompre toute attache avec les loges dissoutes et leur interdit de s'y affilier si elles venaient à se reconstituer. La loi du 11 août 1941 renforce la précédente car elle prévoit la démission d'office pour les fonctionnaires ayant occupé des charges importantes dans la franc-maçonnerie. Situé à l'angle de la rue Billerey et du cours Jean-Jaurès, le temple est démoli à l'automne 1940. Cette décision couvre probablement une opération immobilière.

Année 1941

À partir du 1er mai 1941, la Commission d'armistice italienne est transférée à l'hôtel Lesdiguières, 122, cours Jean-Jaurès, à l'écart du centre-ville. Fin 1942, il est choisi par le général De Castiglioni, commandant la division Pusteria, pour y établir son domicile personnel. L'hôtel sera réquisitionné en octobre 1943 par le nouvel occupant nazi.

La Casa d'Italia, située au 58, cours Jean-Jaurès, abrite, outre les activités classiques d'un consulat, le Parti fasciste à l'étranger. Fermée au début de la guerre, elle redevient un centre consulaire sous l'Occupation, et un consul, Adolfo Maresca, y est nommé, ce qui peut sembler aberrant en temps de guerre. La Casa d'Italia est aussi le siège de la Délégation à l'assistance et au rapatriement. Son objectif est d'inciter les émigrés italiens à rejoindre la « mère patrie ». Enfin, l'OVRA (Organisation de vigilance et de répression de l'antifascisme), qui est la police politique de Mussolini, travaille ici aussi à la surveillance d'émigrés italiens opposants au régime.

Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère
Intérieur de la Casa d'Italia au 58, cours Jean Jaurès.

Autorisé par l'occupant dès février 1941, la présidence du Groupe Collaboration est assurée par l'écrivain Alphonse de Châteaubriant. L'antenne grenobloise dénommée groupe Collaboration du Dauphiné est située 15, rue Docteur-Mazet. Elle ne compte guère que de 18 à 20 membres. La réunion constitutive de la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme) a lieu à Paris, au Vel' d'Hiv', le 18 juillet 1941, soit quelques semaines après l'invasion de l'Union soviétique par l'Allemagne nazie.

Année 1942

Créé en juin 1936 par Jacques Doriot, le PPF (Parti populaire français) cristallise en Isère l'essentiel de la force politique collaborationniste. Le 23 septembre 1940, à Grenoble, la police constate l'apposition par le PPF d'affichettes, telles que « Achetez français, à bas les Juifs !» sur des vitrines de magasins. Son antenne grenobloise est basée au 6, rue du Lycée. Le PPF est un parti structuré, qui dispose d'une section jeunesse : l'Union populaire des jeunesses françaises (UPJF). En mars 1942, l'UPJF compte en Isère, selon la police, 150 membres, âgés de 15 à 25 ans.

À la suite de la rafle du Vel d'Hiv à Paris, les 16 et 17 juillet 1942, la politique antijuive du gouvernement de Vichy connaît un tournant. Le 26 août 1942, une vague d'arrestations massives est organisée par la police française en Isère, comme dans toute la « zone libre ». Aux premières heures de la matinée, plusieurs équipes de quatre à cinq hommes, munies chacune d'une liste d'une quinzaine d'adresses, sillonnent la ville et arrêtent à leur domicile toutes les personnes désignées. Des autocars sont à la disposition des « équipes de ramassage » place Notre-Dame, place Victor-Hugo, cours Jean-Jaurès et place Saint-Bruno. Les Juifs, hommes, femmes et enfants interpellés, sont conduits à la caserne Bizanet, au 51 rue Maréchal-Randon. Là, tous sont soumis à une commission de « criblage » qui effectue un contrôle méticuleux des détenus : identité, résidence, situation familiale, travail... Certains sont libérés, les autres, une cinquantaine, transférés au camp de Vénissieux (Rhône) où ils retrouvent une quarantaine de personnes arrêtées à Vienne et à La Tour-du-Pin. Ils transiteront par Drancy, en région parisienne, avant leur déportation à Auschwitz en Pologne, où l'immense majorité sera exterminée.

Les troupes d'occupation italiennes sont logées dans les casernes laissées libres par la dissolution de l'armée d'armistice du gouvernement de Vichy : Vinoy, Bizanet, Dode, l'Alma, Hoche, Bonne, Bayard.
Très nombreuses dans les jours qui suivent le 11 novembre 1942, beaucoup de ces troupes italiennes sont en transit à Grenoble pour rejoindre Valence et Avignon. Quelques semaines plus tard ne restent à Grenoble, en plus de l'état-major, qu'un millier d'hommes environ, répartis notamment dans les casernes de Bonne et Hoche. La présence militaire italienne se fait assez discrète et finalement peu triomphaliste, dans la mesure où l'Occupation ne résulte pas d'une victoire.

Année 1943

Le 16 février 1943 est institué le Service du travail obligatoire (STO). Sa direction départementale est basée 9, Grand'Rue. Les réfractaires se multiplient et le service est de plus en plus impopulaire. Dans sa statistique intitulée « Situation au 22 août 1943 des gens frappés par la loi du STO et nés entre le 1er octobre 1919 et le 31 décembre 1922 », le directeur départemental du STO conclut à regret que le contingent maximum de « récupérables » (une fois déduits les exemptions diverses, les insoumis et les défaillants) est d'à peine 2 000 personnes. Au total, on estime à environ 1 800 Français domiciliés en Isère le nombre de travailleurs partis en Allemagne dans le cadre de la Relève (la minorité) ou du Service du Travail Obligatoire. 50 y mourront. On peut considérer à 2 000 le nombre de réfractaires (dont 300 différés, c'est-à-dire ceux qui le sont devenus lors d'une permission). Si l'on ramène ces données à la population du département de l'Isère (582 000 habitants), le constat est sans appel : le STO n'aura touché que 1 % de la population totale.

Suite à l'attentat du 25 mai 1943 visant l'hôtel Gambetta où il s'était établi, l'état-major de la division italienne Pusteria occupera les locaux de la Maison des étudiants, place Pasteur.